Wissam Alahmad, chargée de programme pour le Programme alimentaire mondial (PAM) au Soudan, dans la région frontalière du Kordofan méridional, nous raconte son expérience de terrain. Dévouée et passionnée, cette franco-syrienne est depuis 2 ans au cœur de l’action de l’ONU pour assister les populations soudanaises en zones de conflit et en situation précaire, lesquelles nécessitent plus que jamais le soutien de la communauté internationale.
Quel a été votre parcours pour arriver à ce poste ?
J’ai développé mon envie de venir en aide aux populations marginalisées à travers mes études en Coopération au développement (ULB, Belgique). J’ai ensuite continué sur cette voie avec un stage dans une petite ONG spécialisée dans les programmes de développement. Ma carrière à l’ONU a commencé en Syrie, en 2008, dans une période de stabilité. En 2011, le conflit a éclaté dans le pays créant une situation d’urgence pour les populations.
Après y avoir travaillé pour le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), puis le Bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations Unies (OCHA), j’ai ensuite rejoint le PAM à Damas comme Chef de bureau pour la gestion des opérations pendant plus de 5 ans. J’avais donc déjà une longue carrière aux Nations Unies dans le domaine du développement avant d’arriver au Soudan !
En quoi consiste le métier de chargée de programme au PAM ?
Au travers de différents programmes, l’objectif principal de mon travail est d’assurer la sécurité alimentaire des populations les plus vulnérables. Les actions sont très diversifiées. Elles dépendent des niveaux d’insécurité alimentaire et de malnutrition mesurés, et mêlent souvent plusieurs aspects comme l’éducation ou la santé.
Je travaille principalement sur le terrain, dans des régions difficiles d’accès du fait du conflit actuel entre le gouvernement soudanais et son opposition. Ma mission est alors d’établir et lancer les programmes de résilience pour les populations de ces zones. C’est-à-dire, décider des programmes à mettre en œuvre pour les aider à retrouver un certain niveau de vie et lutter contre la famine.
Ce n’est pas dangereux d’aller en mission dans ces zones ?
Je me retrouve souvent dans des missions sans moyens de communication, mais de nombreuses mesures de protection sont mises en place pour assurer la sécurité du personnel. Les zones dans lesquelles nous sommes envoyés en mission dépendent de beaucoup de facteurs comme les langues, les besoins sur place ou l’expérience de terrain.
Une expérience marquante à partager avec nous ?
Une intervention du PAM en Syrie me vient particulièrement à l’esprit, dans une zone très difficile d’accès et un contexte politique extrêmement instable. Notre équipe s’est rendue dans des villages de montagne, complètement isolés. Nous n’avions que 24 heures pour apporter la nourriture et faire l’évaluation de la situation alimentaire. Avec d’autres organisations de l’ONU, nous étions à plus de 10 voitures et 30 camions !
Imaginez, nous avons dû attendre plus de 12 heures avant d’avoir accès au territoire avec le convoi. Je me rappellerai toujours ce très vieil homme, famélique, qui est venu près de moi me demander du pain. J’ai dû attendre de longues heures que les camions arrivent pour pouvoir enfin lui donner … de la farine. « Tu ne comprends pas, je veux du pain », il était si affamé qu’il n’avait pas la patience d’attendre. Impossible pourtant d’apporter des aliments qui périment rapidement, ce sentiment d’impuissance était très lourd.
Aussi, pour beaucoup de mes missions, ici au Soudan, je vais dans des écoles pour aider les enfants, souvent en sous-nutrition. Malgré un certain « malaise » face à cette détresse humaine, je ne peux pas décrire la fierté que je ressens de pouvoir aider ces personnes. Quelle joie de voir ces enfants sauter de bonheur quand on leur apporte de la nourriture. Ce sont des moments que je n’oublierai jamais, des moments qu’on vit avec l’âme.
Des conseils pour ceux qui voudraient travailler, comme vous, sur le terrain ?
Il faut être prêt à y consacrer sa vie, ou au moins une partie. On vit beaucoup de moments de doute et de solitude, loin des siens et de son pays. Ma vie « normale » me manque souvent. Ce travail apporte son lot de joie et de tristesse. Il faut parvenir à trouver le bon équilibre.
Il faut aussi être conscient que faire partie du personnel humanitaire, c’est se consacrer aux autres, tout en étant exposé aux risques de terrain. C’est un travail physiquement épuisant de par le stress, le rythme de travail et les conditions sanitaires dans lesquelles on doit vivre au quotidien. Il faut pouvoir s’adapter à la vie locale, souvent très loin de notre confort habituel.
Surtout, c’est un métier psychologiquement prenant, qu’on doit faire avec passion. Malgré les situations lourdes auxquelles nous sommes confrontés, il n’y a pas plus belle récompense que de voir le sourire des tous ces gens et de sentir qu’on a un réel impact.