10 août 2018 – Avant de commencer sa carrière au sein de l’ONU, Vivian van de Perre a travaillé en tant qu’officier de l’armée néerlandaise. Par la suite, elle a été officier militaire détaché dans plusieurs postes au Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU (DOMP). Depuis janvier 2018, Mme van de Perre est chef d’État-major pour la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA).
- Quel est votre parcours académique et quel impact a-t-il eu sur votre carrière ?
Je suis diplômée de l’académie royale militaire aux Pays-Bas où je suis devenue officier de l’armée, ce qui m’a mené plus tard aux Nations Unies (ONU). Cette formation militaire m’a aidé dans le travail avec les opérations de maintien de la paix. Lorsque je travaillais déjà pour l’ONU, j’ai également poursuivi une maîtrise en administration publique à la Harvard Kennedy School. Pendant ce cursus, j’ai également suivi des cours à la Fletcher School of Law and Diplomacy et à la Harvard Divinity School, ce qui m’a permis d’étudier la direction de projet, la négociation de conflits et la médiation, la gestion des affaires de l’État et la théorie de la guerre juste.
- Quel a été votre premier emploi et êtes-vous allée à l’université avec l’intention d’entrer à l’ONU ?
En fait, cela ne m’a jamais traversé l’esprit. Lorsque j’ai rejoint l’armée en 1985, pendant la guerre froide, nous étions formés sur la manière de faire face à ce qui était alors l’Union soviétique. Lorsque j’ai été diplômée à l’Académie royale militaire en 1989, cela coïncidait avec la fin de la guerre froide. C’est à ce moment que le maintien de la paix a véritablement commencé à s’épanouir et que plusieurs missions de maintien de la paix ont été déployées à travers le monde. En tant que femme commandant, j’ai fait de mon mieux pour convaincre l’armée néerlandaise de m’envoyer en tant qu’observateur militaire à l’une des nouvelles missions. Il y avait beaucoup de résistance parce que lorsque j’ai rejoint l’armée en 1985, je faisais partie de la première génération de femmes dans l’armée néerlandaise récemment intégrées avec des femmes et des hommes servant ensemble. Lorsque j’ai essayé de me faire engager auprès d’une des missions de maintien de la paix de l’armée néerlandaise, j’ai fait face à des milliers d’excuses parce que j’étais une femme. En 1993, le siège des Nations Unies s’est rendu compte que le maintien de la paix se développait très rapidement et que les ressources pour gérer cette croissance ne suivaient pas. L’ONU a donc demandé aux États membres d’envoyer des officiers militaires pour aider à gérer des opérations de maintien de la paix. Les Pays-Bas ont décidé d’envoyer 8 officiers militaires. Là encore, il y a eu beaucoup de résistance quand il s’agissait de m’ envoyer. Mais j’ai eu de la chance car le chef de ma branche militaire était un général très favorable à l’intégration des femmes dans l’armée et j’y suis allée en compagnie de 7 hommes. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler pour le siège de l’ONU.
- Depuis lors, avez-vous constaté des améliorations en ce qui concerne le traitement des femmes dans les forces de maintien de la paix des Nations Unies ?
L’actuel Secrétaire général, António Guterres, est un ardent défenseur de l’égalité entre les sexes et il a mis en place des mesures fortes pour faire progresser les femmes, notamment concernant des postes importants pour les forces de maintien de la paix. Je pense que nous devons assurer parallèlement des opportunités de carrière continues pour les hommes qualifiés et trouver le juste équilibre. Nous souhaitons une plus grande participation des femmes en particulier car les conflits se déroulent au sein d’un contexte sociétal où ce sont souvent les hommes qui se battent et où les femmes et les enfants sont souvent les victimes. En outre, les femmes sont beaucoup moins susceptibles d’être les représentantes ou les porte-paroles de leurs communautés. Afin de résoudre efficacement les conflits, nous devons tendre la main à ces femmes et il se peut qu’elles se sentent plus libres à l’idée de parler avec d’autres femmes. Si vous n’avez pas suffisamment de femmes sur le terrain, vous manquez l’occasion d’atteindre la partie la plus vulnérable de la société.
Le Département des opérations de maintien de la paix (DOMP) et le Secrétaire général insistent également pour que les femmes soient davantage représentées, en particulier pour le personnel en uniforme. Cependant, si les États membres n’envoient pas ou ne peuvent pas envoyer plus de femmes, il sera impossible d’obtenir un équilibre entre les sexes. Mais beaucoup de pays ont vraiment intensifié leurs efforts. Le Bangladesh, par exemple, a beaucoup de femmes dans ses contingents et cela a fait une grande différence. Nous pouvons finalement atteindre les femmes sur le terrain qui se sentent plus à l’aise pour parler à d’autres femmes.
- En quoi est-ce que votre emploi actuel consiste et quels sont ses aspects les plus difficiles et les plus gratifiants ?
Le titre de ma profession est « chef d’État-major pour la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine (MINUSCA) ». Mon travail consiste à veiller à ce que toute la planification, la coordination, la communication vers et depuis le siège des Nations Unies ainsi qu’au sein de la mission soient correctement planifiées, coordonnées et exécutées. Ce qui est gratifiant, est que mon un travail est extrêmement fascinant. Lorsque nous menons à bien notre mission, nous sommes en mesure de protéger les civils, de les aider à améliorer leurs conditions de vie, d’aider leur gouvernement à s’affirmer et à devenir un meilleur gouvernement auprès de son peuple. Mais ça ne marche pas toujours. Ce qui est frustrant, c’est quand on ne réussit pas. Si vous n’êtes pas là quand un groupe est attaqué, et bien sûr nous ne pouvons pas être partout à tout moment, beaucoup de personnes risquent de mourir. C’est la partie frustrante de ma profession, tout comme la perte de notre propre personnel.
- Quelles sont les différences principales entre travailler et vivre en Afrique et en Europe ?
C’est une question difficile car je n’ai plus vécu en Europe depuis 25 ans. Bien sûr, je visite toujours ma famille aux Pays-Bas et je serai toujours néerlandaise mais depuis 25 ans, je travaille et j’évolue dans un environnement international au sein de l’ONU. Vivre en Afrique est vraiment gratifiant. L’année dernière, j’ai amené mes enfants et mon mari, qui vivent actuellement à New York, au Rwanda et au Kenya. Ils ont aussi adoré. L’Afrique est un continent magnifique à bien des égards. Il a ses problèmes dans certains pays, y compris celui où je suis, mais je trouve en général que les gens y sont très chaleureux et la culture, la nourriture et la musique sont magnifiques.
- Comment trouvez-vous l’équilibre entre un travail exigeant et votre vie familiale ?
Vous devez faire des choix difficiles tout au long de votre carrière. On dit souvent que les femmes peuvent tout avoir mais malheureusement la réalité est que vous devez souvent faire des choix. J’ai personnellement fait des choix avec mon mari qui marchent pour notre famille et pour ma carrière. Ce ne sont pas des choix que tout le monde pourrait se permettre. Par exemple, lorsque ma carrière s’est dirigée de plus en plus vers un poste de rang supérieur à New York, mon mari et moi-même avons décidé que ça en valait la peine que je poursuive cette carrière mais nous voulions aussi une famille. C’est donc lui qui a dû sacrifier son travail. Cela m’a permis de consacrer les heures et les efforts nécessaires pour gravir les échelons hiérarchiques au sein de ma carrière. Vous ne pouvez pas travailler que de 9h à 17h, vous devez vraiment y consacrer des heures supplémentaires. J’ai été capable de le faire toute ma vie grâce au soutien de mon mari parce qu’il prenait soin de tous les autres aspects de notre vie. Cela ne marche pas forcément pour tout le monde mais cela a réussi avec brio pour nous. Certains de mes amis ont décidé de ne pas avoir de famille car ils ne pouvaient pas simultanément faire face aux exigences de leur travail. J’ai connu des couples où les deux conjoints avaient des emplois très exigeants et c’est très souvent la carrière de la femme qui finit par en souffrir. La femme est souvent celle qui doit rentrer à la maison à 18h pour aller chercher les enfants à l’école ou qui s’occupe d’eux quand ils sont malades. Contrairement à la croyance populaire, cela finira par nuire à votre carrière si vous souhaitez accéder à des postes de direction. Donc, je suis extrêmement heureuse de nos choix et je n’aurais pas pu les faire sans le soutien de mon mari. Quand mes enfants étaient jeunes, j’ai travaillé pendant plusieurs années au siège des Nations Unies parce que je voulais rester à leurs côtés. Quand ils sont devenus adolescents, ils ont maintenant 17 et 15 ans, j’ai eu une discussion avec toute la famille sur mon désir de retourner aux opérations de maintien de la paix et pour savoir s’ils seraient prêts à m’appuyer sur ma décision. Ils m’ont encouragé à le faire. Je vie en Afrique depuis 1 an et demi et j’essaie de retourner voir ma famille tous les trois mois. Entre-temps, nous parlons via WhatsApp. Grâce à la technologie, il est beaucoup plus facile de rester en contact que par le passé. Mais il faut trouver le bon équilibre, chacun doit trouver ses propres solutions et faire ses propres choix.
- Quelle expérience au sein des Nations Unies a été la plus mémorable pour vous ?
La fonction la plus mémorable a certainement été celle de chef de cabinet, à la fois lors de ma dernière mission au Congo et maintenant en République centrafricaine. Ma carrière a été non linéaire mais aujourd’hui tout s’aligne. J’ai travaillé comme officier militaire dans le domaine du maintien de la paix, des finances et du budget, de la sécurité et de la sûreté, de la construction, des affaires politiques, des audits, de l’enquête antifraude, du Bureau du Secrétaire général, des missions politiques spéciales et aujourd’hui à nouveau dans le domaine du maintien de la paix. Je pense pouvoir mieux faire mon travail aujourd’hui en tant que chef de cabinet parce que j’ai travaillé sur bon nombre des composantes que je dois coordonner et j’ai aussi acquis une connaissance approfondie du fonctionnement des États membres. Un tel travail est, pour moi, la cerise sur le gâteau car je peux mettre à profit toute l’expérience accumulée jusqu’à présent. Je pense que cela fait de moi un chef de cabinet plus efficace. Je suis également de retour dans le domaine du maintien de la paix où j’ai renoué avec mes racines militaires. Mon travail actuel est le point culminant de mon expérience et j’en suis très heureuse. Je n’aurais pas nécessairement la même satisfaction dans un environnement plus stable.
- Qu’est-ce qui, selon vous, est surestimé ou sous-estimé quand on travaille pour l’ONU et quels conseils concrets donneriez-vous aux jeunes qui veulent faire carrière au sein des Nations Unies ?
Ce qui est surestimé, est la satisfaction quotidienne que vous pouvez retirer de votre travail lorsque vous commencez à travailler pour l’ONU. Je vois beaucoup de jeunes talents qui sont extrêmement heureux d’avoir réussi l’examen du Programme Jeunes administrateurs de l’ONU. Mais quand ils rejoignent l’ONU, ils deviennent très frustrés car même si vous êtes la personne la plus brillante de votre pays, vous commencez au plus bas de l’échelle et vous devrez apprendre la manière dont l’ONU fonctionne. Nous sommes une lourde bureaucratie. Nous avons beaucoup de règles et de procédures à suivre. Je travaille pour les Nations Unies depuis 25 ans et il m’arrive encore d’être frustrée par la bureaucratie au quotidien. Cependant, vous n’allez pas changer la bureaucratie en étant frustré. Il est préférable de vous efforcer d’apprendre à contourner les règles sans les briser pour atteindre vos objectifs. Je pense qu’il existe deux types de réactions lorsque les gens rejoignent l’ONU pour la première fois : soit ils se heurtent à la réalité de l’ONU en tant qu’organisation très vaste et très complexe et ils deviennent frustrés et abandonnent ou cessent d’essayer de faire la différence. Soit, ils apprennent le fonctionnement du système et continuent de faire de leur mieux en essayant de faire la différence. Lorsque vous rejoignez l’ONU, soyez de ces derniers : étudiez l’ONU, apprenez la manière dont l’organisation fonctionne et les raisons derrière ses règles, apprenez comment le système du budget et des ressources humaines fonctionne, apprenez quel est l’influence des États membres sur l’organisation et essayez d’être exposés à différents lieux d’affectation, y compris les plus difficiles. Si vous ne voulez pas être une force positive dans un environnement complexe, ne travaillez pas pour l’ONU car vous ne vous ferez aucune faveur à vous-même ou à l’ONU.
- Avez-vous un dernier message pour les personnes intéressées par rejoindre l’ONU ?
Il n’est pas facile d’entrer à l’ONU car il y a beaucoup de postes vacants mais aussi un très grand nombre de candidats. N’abandonnez pas. Si vous voulez vraiment travailler pour l’ONU, vous devez continuer d’essayer. Nous embauchons des gens et l’un d’entre eux pourrait être vous un jour. En attendant, investissez dans votre expérience professionnelle et vos compétences, y compris votre expérience sur le terrain si vous le pouvez. Donc, si possible, travaillez pour une ONG, devenez un volontaire ONU ou obtenez toute autre expérience que vous pouvez dans une organisation internationale. Si c’est votre rêve, n’abandonnez pas juste après quelques années. Nous sommes tous passés par là et nous avons tous essayé pendant plusieurs années. Beaucoup de gens travaillent pour l’ONU et nous y sommes tous arrivés à la fin. Vous avez toutes vos chances d’être parmi nous un jour.
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