Lorsque la Russie a attaqué l’Ukraine en février 2022, Alina Kokhanko ne se doutait pas qu’elle serait en Belgique un mois plus tard. Cette jeune mère de 32 ans vivait et travaillait en tant que conseillère marketing à Kiev, sa ville natale.
« J’ai réalisé que la situation était très dangereuse quand tous les ponts autour de Kiev ont été bloqués et menacés d’être détruits, retrace-t-elle. J’ai décidé de partir avec ma famille. Mon père, ma mère, ma fille, mon oncle et ma tante, six personnes se sont entassées dans ma voiture et j’ai conduit jusqu’à la frontière roumaine ».
Pendant 10 jours, ils restent dans un petit village frontalier. Cet endroit n’est pas non plus sûr. Ils décident alors d’aller « en Europe ». Mais où exactement ? Alina Kokhanko a contacté des amis et connaissances sur les réseaux sociaux, et demandé des conseils pour organiser un séjour qui ne durerait, pensait-elle, qu’un mois ou deux. Une compatriote qu’elle n’avait rencontrée qu’une fois en 2014 lui a conseillé de se rendre en Belgique.
Arrivée à Bruxelles, dans l’improvisation
Comme la plupart des réfugiés ukrainiens, la famille Kokhanko est arrivée par pure improvisation à Bruxelles. Alina a mis six mois à trouver un appartement, « par chance » à Etterbeek, alors que les propriétaires n’étaient pas très enclins a accueillir les réfugiés d’Ukraine.
Elle a très vite commencé à se rendre volontaire à la Gare de Bruxelles-Midi, pour aider ses compatriotes pendant les premiers jours où les réfugiés d’Ukraine arrivaient en Belgique par train. « Le gouvernement était absent et tout le monde un peu figé », se souvient-elle. Beaucoup de citoyens belges, ukrainiens, roumains et autres se portaient volontaires, dans un élan de solidarité.
Alina Kokhanko a fourni à la gare des repas chaud et des conseils aux familles – surtout des femmes et des enfants – pour obtenir une protection temporaire, en tant que réfugiés. « Beaucoup de familles belges offraient l’abri à des réfugiés à la Gare du midi ». La situation, chaotique, nécessitait une prompte organisation à partir du terrain.
Un immeuble entier pour un nouveau Centre communautaire ukrainien
Peu après, en juin 2022, Alina Kokhanko est devenue la présidente du Comité de réfugiés Ukrainian Voices, créé avec le soutien du HCR, l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, l’agence des Nations Unies pour les réfugiés. Le comité, qui aujourd’hui est devenu une association (ASBL), représente la communauté ukrainienne dans les discussions avec les autorités locales et fait partie du Umbrella Refugee Committee, conçu pour rassembler les communautés par nationalités.
Membre d’une initiative de la région Bruxelles-Capitale pour impliquer les réfugiés dans les processus de décision et de résolution des problèmes, elle fait la liaison, sous un contrat de fonctionnaire, entre l’administration et sa communauté. C’est ainsi que le 9 février 2024, Alina a pris part à l’ouverture d’un nouveau centre communautaire ukrainien situé dans un immeuble de huit étages du quartier européen.
Le jour de l’inauguration, un orchestre jouait, des flyers écrits en ukrainien étaient distribués et des discours traduits, pendant que des enfants jouaient et couraient. A l’entrée du centre, conçu pour être d’abord et avant tout un « endroit sûr », quelques poupées ukrainiennes ont été disposées dans des vitrines, des fleurs dans les cheveux.
L’immeuble, une ancienne propriété des Démocrates chrétiens flamands (CD&V), est devenu le point focal pour les 200 à 250 réfugiés qui le fréquentent chaque jour pour échanger, emmener leurs enfants, suivre des cours de langues et accéder à diverses formes de soutien.
Des étages différents pour les femmes, les enfants, les cours et la santé
Chaque étage a une fonction. Un espace des femmes est situé au rez-de-chaussée, avec un coiffeur, des sessions de coaching et un soutien à la santé mentale. « Nous pensons spécialement aux femmes qui sont seules et n’ont pas vu leur mari depuis deux ans », souligne Alina.
Le troisième étage est dédié aux enfants, avec des salles de classes d’art et des espaces de jeux. Le quatrième étage se consacre à des sessions d’information fournies par diverses ONG travaillant sur l’intégration, comme Actiris ou le Service public d’emploi de la Flandre (VDAB).
Les cinquième et sixième étages abritent des salles de classe pour les leçons de langues, tandis que le septième est occupé par les services de santé, de protection sociale et d’orientation. Le huitième accueille les bureaux du centre. Des consultations privées de psychologues sont offertes aux adultes et aux enfants. Des groupes organisés pour les parents portent sur l’intégration et comment reconstruire sa vie dans un autre pays.
En outre, la Maison du néerlandais, Proforal et 12 retraités de la Commission européenne enseignent le français, l’anglais et le néerlandais. Pas moins de 19 classes attirent entre 12 et 15 participants par leçon, chaque jour. Tous les mois, le centre abrite en outre trois à quatre sessions d’information, suivies par 80 à 100 personnes, pour la plupart des nouveaux venus.
Ces personnes figurent parmi les 66 332 réfugiés et 695 demandeurs d’asile ukrainiens enregistrés en Belgique en 2023. A la mi-2023, les Ukrainiens représentaient ainsi la plus large communauté de réfugiés en Belgique – à ne pas confondre avec les migrants -, avant les Syriens (20 800), les Afghans (15 800), les Palestiniens (8 900) et d’autres nationalités dont l’Erythrée, la Turquie, le Burundi et la Guinée.
Bruxelles-Capitale et le HCR travaillent pour les réfugiés avec les réfugiés
« Le centre n’est pas qu’un immeuble. C’est un symbole de notre unité et de notre fierté en tant qu’Ukrainiens vivant à Bruxelles », estime Alina Kokhanko. Avec le soutien de la région Bruxelles-Capitale et du HCR, le projet suit une nouvelle vision et une autre méthode pour se préoccuper des réfugiés en Europe.
« Alina a le don de faire avancer le projet tout en s’adaptant aux besoins de toutes les communautés de réfugiés », témoigne Alphonse Munyaneza, officier senior de l’approche de protection communautaire du HCR.
Elle est l’un des sept Points uniques de contact (SPOC) qui font la jonction entre l’administration, les ONG et les réfugiés sur les questions de santé, de protection sociale, de logement, d’emploi, d’éducation et d’information.
Aucun Ukrainien ne dort dans la rue à Bruxelles
« Pas de décision sur les réfugiés sans réfugiés dans la salle », telle est la devise et la politique suivie par la région comme par le HCR. « Les réfugiés ne sont pas des personnes handicapées, ils peuvent prendre la responsabilité de leurs vies, avec le HCR pour nous guider sur les questions légales et les ONG comme partenaires », ajoute Alina Kokhanko.
Lorsque la crise ukrainienne a commencé, l’impact sur la recherche de solutions a été énorme et l’étroite collaboration entre les autorités locales, le comité des réfugiés Ukrainian Voices et le HCR a abouti à des résultats concrets en termes d’accueil et d’intégration. Jusqu’à neuf hôtels et quatre grands immeubles à Auderghem, Anderlecht, Molenbeek et Schaerbeek ont été loués et gérés par la communauté elle-même, pour abriter les réfugiés.
L’intégration, plutôt que la victimisation, est clé. « Dans la région, plus de 1 500 Ukrainiens ont déjà décidé de lancer leur propre entreprise, pour la plupart dans la boulangerie, les salons de beauté et les services logistiques », souligne Alina Kokhanko.
Aujourd’hui, aucun Ukrainien ne dort dans la rue à Bruxelles, malgré une lancinante « crise de l’accueil ».
L’approche de protection communautaire du HCR
Au début de la crise ukrainienne, le gouvernement régional a étroitement travaillé avec le HCR et a accepté de mettre en œuvre son approche communautaire de la protection. « Cette vision pragmatique fait partie du mandat global du HCR, et s’applique surtout en Afrique subsaharienne, en Asie et en Amérique latine, explique Alphonse Munyaneza. Elle a été instaurée à Bruxelles pour la première fois en Europe à cette échelle ».
Le partenariat entre les Nations Unies, le gouvernement régional et les réfugiés pourrait devenir un cas d’école. Le HCR a déclaré en novembre 2023 que « la rapidité avec laquelle la Belgique et sa population ont réussi à fournir un abri à plus de 70 000 réfugiés provenant d’Ukraine montre ce qui peut être fait avec un bel esprit de décision. Le HCR espère que la solidarité sans précédent et la bonne pratique dans ce contexte conduiront à un changement positif pour tous les réfugiés ».
LIENS UTILES