L’Union européenne doit repenser sa gouvernance socio-économique si elle veut tenir ses engagements en matière d’éradication de la pauvreté, a déclaré le Rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Olivier De Schutter, après avoir conduit une mission sur la pauvreté dans l’UE.
« Si l’Europe veut montrer la voie vers des sociétés inclusives, il lui faut une stratégie audacieuse de lutte contre la pauvreté à l’échelle de l’UE par laquelle elle s’engage à réduire la pauvreté de 50 % au sein de tous les Etats Membres d’ici 2030 », a annoncé M. De Schutter dans un communiqué de presse.
Une personne sur cinq, soit 21,1 % de la population, était menacée de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2019, soit 92,4 millions de personnes. Au total, 19,4 millions d’enfants, soit 23,1 %, sont menacés de pauvreté dans l’Union européenne, un chiffre que Olivier De Schutter considère comme « extrêmement élevé ».
Les femmes sont représentées de manière disproportionnée parmi les personnes en situation de pauvreté, en particulier lorsqu’elles atteignent l’âge de la retraite et reçoivent alors une pension au montant inadapté.
Des objectifs non atteints
Du 25 novembre au 28 janvier, l’expert des Nations Unies a rencontré des représentants des institutions européennes, ainsi que des représentants nationaux et locaux de France, d’Espagne, d’Italie et de Roumanie. Il s’est également entretenu avec des organisations de la société civile, des personnes touchées par la pauvreté ainsi qu’avec des travailleurs sociaux et des partenaires sociaux.
Dans sa déclaration finale de mission, il a souligné que l’objectif de l’UE de sortir 20 millions de personnes de la pauvreté d’ici 2020 a été « largement manqué » en dépit d’une croissance constante de l’économie et de l’emploi avant que la pandémie ne frappe.
« Nous n’avons pas réussi à atteindre cet objectif, et aucun nouvel objectif n’a été fixé jusqu’à présent », a déclaré Olivier De Schutter lors d’une conférence de presse à Bruxelles. « La raison de cet échec est que les bénéfices n’ont pas été distribués de manière équitable. C’est une défaite pour les droits sociaux », observe-t-il.
Les États Membres ont réduit les investissements dans les soins de santé, l’éducation et la protection sociale, domaines essentiels pour réduire la pauvreté, au nom de la rentabilité. Il a également souligné la façon dont les membres du bloc procèdent à un « nivellement par le bas » en réduisant les impôts des sociétés, les salaires et la protection des travailleurs afin d’attirer les investisseurs et d’améliorer la compétitivité des coûts externes.
Instaurer un revenu de base universel
La pandémie de Covid-19, qui a eu un impact disproportionné sur les plus pauvres dans le monde, risque de plonger un nombre encore plus important de personnes dans la pauvreté.
« Nous allons assister à une seconde vague de pauvreté due au fait que les entreprises devront déclarer faillite, ce qui entraînera une hausse du chômage », a prévenu Olivier De Schutter.
Selon lui, « la crise actuelle est l’occasion pour l’Europe de se réinventer en plaçant la justice sociale au cœur de ses priorités ». Pour cela, des systèmes de revenu minimum adéquat ainsi qu’une protection accrue pour chaque enfant menacé par la pauvreté dans l’UE sont nécessaires.
Olivier De Schutter a particulièrement encouragé la mise en place d’un système de revenu de base universel adapté à la jeunesse. Il a cité l’exemple de la France, où le Revenu Social d’Intégration (RSI) n’est pas distribué aux jeunes de moins de 25 ans, une décision incompréhensible à ses yeux.
« Le taux de pauvreté en France au sein de cette catégorie d’âge est très élevé, environ 30 %, je pense donc qu’il faudrait se concentrer sur les jeunes », a-t-il précisé.
Il a également appelé le plan d’action de la Commission européenne, qui sera vraisemblablement dévoilé dans les semaines à venir, à mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux afin de définir des objectifs à atteindre à travers toute l’UE.
« Un enfant né dans la pauvreté se voit condamné pour un crime qu’il ou elle n’a pas commis, et il s’agit d’une condamnation à vie », a déclaré Olivier De Schutter.
Le pacte vert pour l’Europe, un plan d’action ayant pour objectif de rendre l’économie de l’UE durable, doit également comprendre des actions concrètes pour combattre la pauvreté, sans quoi des millions de personnes continueront de lutter pour un niveau de vide décent, prévient Olivier De Schutter.
Le rapport final de cette visite sera présenté au Conseil des droits de l’homme à Genève en juin 2021.
La déclaration finale de mission est disponible ici.
Liste des rencontres et réunions de la visite disponible ici.
Voir aussi: COVID-19 : la protection des plus pauvres n’est pas assurée