« L’ONU reste notre avenir », estime Bernard Miyet[1], ancien directeur des Opérations de maintien de la paix (OMP). Il a été le premier Français à ce poste, en 1997, toujours occupé depuis 25 ans par un diplomate français.
A l’occasion des 75 ans des opérations de maintien de la paix, il répond à nos questions.
Pourquoi le poste de directeur des Opérations de maintien de la paix est-il depuis des années attribué à un Français ?
Cet état de fait, qui dure depuis plus d’un quart de siècle, tient sans nul doute à l’exigence d’équilibre entre les postes occupés par les membres permanents du Conseil de sécurité. J’imagine parallèlement qu’il résulte du niveau de professionnalisme, du souci d’impartialité et du sens de l’intérêt général qui s’imposent à la haute fonction publique française. Chacun d’entre-eux a sans nul doute eu à cœur de respecter strictement les valeurs et principes de la Charte des Nations Unies comme de se montrer entièrement loyal envers le Secrétaire général en place.
Je sais avoir été choisi pour ce poste par Kofi Annan au début 97, parmi plusieurs autres candidats français possibles, parce-que ce dernier était conscient de l’absence de représentation de la France aux plus hauts échelons du Secrétariat des Nations Unies à New York depuis longtemps et de la nécessité de répondre aux attentes de Paris. Ma présence au Siège a été, quatre années durant, marquée par la chaleur et la confiance des relations établies avec un exceptionnel et admirable Kofi Annan. Cela aussi du fait de la qualité et de l’engagement de l’ensemble de l’équipe au Département de Opérations de maintien de la paix (DOMP), tout particulièrement mon remarquable et loyal alter-égo Hédi Annabi, hélas disparu en Haïti, et par l’ampleur et l’intérêt des missions que j’ai eu à suivre ou à créer.
A votre avis quel est le plus grand succès des opérations de maintien de la paix ?
Il est toujours difficile d’établir un palmarès des échecs et succès dans les opérations de maintien de la paix tant les conditions dans lesquelles elles sont créées et mises en place, la situation sur le terrain et dans les pays voisins, les rapports de force et équilibres au sein du Conseil de sécurité, la nature du mandat donné et des moyens opérationnels et financiers accordés sont variés et aléatoires.
Comment qualifier les missions les plus anciennes qui avaient pour objectif de faire respecter des cessez-le-feu et de protéger les populations civiles contre une reprise des hostilités – ce qu’elles ont accompli depuis des décennies – sans pour autant permettre de régler le fond ? Que dire des missions qui ont pu accomplir leur mandat avant de se retirer avant de constater ultérieurement que le pays sombrait à nouveau dans le chaos ? La tâche est à la fois nécessaire, immense, difficile, incertaine et les résultats toujours fragiles.
Pour ma part, je suis heureux d’avoir pu contribuer à la mise en place des missions, pour le moins complexes et novatrices, au Kosovo et au Timor oriental. Elles ont permis de donner corps, de façon relativement paisible et malgré les défis, à des États indépendants et démocratiques dans un environnement difficile.
Les Opérations de maintien de la paix sont confrontées à de nouveaux défis (terrorisme, fake news…), quels sont les moyens d’adaptation ?
Les OMP ont toujours eu à faire face à de nouveaux défis, à s’adapter ou à se réinventer en fonction des situations particulières dans lesquelles elles ont eu à se mettre en place. Et cette exigence s’est imposée à tous les Secrétaires généraux et aux Chefs successifs du Département des Opérations de maintien de la paix au fil du temps. Chaque mission est une nouvelle expérience et les leçons tirées des précédentes ne sont valables qu’à condition de savoir que la future mission ne sera en aucun cas la répétition d’une opération antérieure et qu’il faut savoir innover.
Les défis de l’heure sont il est vrai considérables, qu’ils s’agissent du déferlement de « fake news », de propagande ou de haine à travers les réseaux sociaux, de l’explosion des trafics d’armes, de drogues ou d’êtres humains par la criminalité organisée, de l’irruption des groupes dits privés et de milices dans divers pays. Les Nations Unies ne sont pas armées pour y répondre et les pays les plus puissants ne sont pas disposés à leur en donner les moyens en propre car ils souhaitent conserver leur maitrise des outils de renseignement, préserver l’opacité de leurs actions et de leurs échanges. Lorsque d’aucuns venaient relever la cécité de l’ONU face à des signes avant-coureurs de crise ou à son incapacité à faire de l’alerte précoce (« early warning »), je posais immédiatement une question qui restait toujours sans réponse : quand envisagez-vous de donner accès aux informations collectées par vos services secrets ? Quand envisagez-vous de doter le Secrétariat de moyens humains et matériels (satellites en particulier) lui permettant d’anticiper ?
Comment expliquer que tant de scandales liés à des abus sexuels ont entaché la réputation des Casques bleus ? L’ONU a pris des mesures mais peut-on lutter plus efficacement encore contre ce fléau ?
Il s’agit d’un problème grave et récurrent auquel mes prédécesseurs, successeurs comme moi-même avons eu à nous confronter. Le constat reste douloureux et les obstacles et difficultés sont toujours présents malgré l’action et la réelle volonté des Secrétaires généraux ou chefs du DOMP.
L’ONU doit faire appel des contingents provenant de pays qui manquent parfois de moyens ou de tradition pour former et sensibiliser leurs soldats aux exigences qui doivent s’imposer aux Casques bleus. Des actions ont été engagées pour favoriser une formation plus adaptée mais les résultats paraissent toujours insuffisants ou aléatoires. Bien qu’aucun État ou gouvernement ne soit à l’abri de dérapages de la part de ses troupes, il est regrettable que les pays riches et développés aient désertés les missions onusiennes depuis des décennies.
La règle qui veut que toute sanction relève du seul pays d’origine des contingents nuit également à l’image des Nations Unies car il en ressort une impression – souvent légitime – d’impunité des personnes incriminées. J’avais instruit mes services de suivre sans relâche les dossiers de personnes ou contingents mis en cause et renvoyés dans leur pays, jusqu’à ce que l’instruction des plaintes aient eu lieu et des sanctions aient été décidées. Des notes verbales étaient ainsi adressées aux missions permanentes concernées tous les semestres jusqu’à ce que justice soit rendue.
Comment voyez-vous l’avenir du maintien de la paix ?
Alors même que la Charte des Nations Unies ne fait pas mention de ce rôle et de ces missions, le maintien de la paix est devenu incontournable dès l’origine. Les deux missions d’observation créées en 1948 pour le cessez-le-feu en Palestine et en 1949 pour le Jammu et le Cachemire perdurent encore à ce jour tout comme les opérations mises en place dans les années 70 au Liban, à Chypre, au Sahara occidental. Les pays africains restent demandeurs vis-à-vis des Nations Unies afin de répondre à des tensions ou des situations délicates.
N’est-il pas éclairant de constater que malgré la période particulièrement critique que l’Europe traverse, les tensions entre la Chine et les États Unis et le blocage du Conseil de sécurité sur le dossier ukrainien, cette dernière instance continue à se réunir au quotidien et à adopter des résolutions ?
Aucun pays n’est en mesure de proposer une alternative aux Nations Unies, ni de concevoir des valeurs et principes différents acceptables par tous, ni de rassembler l’ensemble des États au sein d’une même organisation. L’ONU reste notre avenir.
[1] Bernard Miyet a dirigé les Opérations de maintien de la paix de l’ONU pendant trois ans, entre 1997 et 2000. Ce diplomate chevronné est aujourd’hui président de l’Association française des Nations Unies.
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