A Montpellier, dans le sud de la France, la livraison de repas chauds par des livreurs à vélo n’est plus un service réservé à ceux qui ont de l’argent et un logement. Pendant le confinement, chaque jour, des dizaines de sans-abris sont livrés dans la rue grâce à un collectif de citoyens solidaires.
Détournant le principe du célèbre service de livraison à domicile « Deliveroo », des bénévoles se sont spontanément organisés au sein de « Déliv‘rue » pour apporter de la nourriture, du réconfort et créer du lien avec les plus démunis de la ville.
Démarrée au début du second confinement, en novembre, ce mouvement de solidarité compte aujourd’hui près de 350 membres, 241 « cuistots », qui préparent des repas chez eux et une centaine de « cuissots », qui à la force de leurs jambes, sur leur vélo, livrent dans la rue.
« Je ne suis vraiment pas une bonne cuisinière… en fait je n’aime pas faire la cuisine, mais je m’y suis mise et je me suis surprise ! Je fais des choses simples comme des lasagnes et j’y prends plaisir ! », raconte Lila Ruiz de Somocurcio, une « cuistote », membre de l’équipe d’administration de cette initiative.
Des tajines agneau et olives, rôti de veau, tartiflettes, lentilles à la marocaine, cake cœur chocolat, soupe de butternut au lait de coco, compote de fruit… Sur la page Facebook, qui réunit toute la communauté de Deliv’rue, les « cuistots et cuistotes » tirent fierté à préparer des petits plats pour les autres. Ces autres qu’ils ne verront jamais mais dont ils savent, par les témoignages des « cuissots », les livreurs, combien ils sont reconnaissants.
Créer du lien
Les paniers repas comportent toujours un plat chaud et des couverts, parfois un dessert, une boisson. « J’ajoute souvent un masque en tissus que j’ai grâce à une autre association de solidarité avec laquelle je travaille », explique Lila. D’autres ajoutent des gants, un bonnet ou un livre, un jeu de carte. « L’essentiel est l’entraide et la création de lien social », insiste Johanna.
Johanna Pocobene fait partie, avec Raphaël Auternaud et Antoine Marc, des membres fondateurs de « Deliv’rue qui se sont inspirés du mouvement « Pour Eux ». Cette initiative, qui s’est développée pendant le premier confinement, existe dans plusieurs villes de France et en Belgique
« Dans la journée, avec le confinement il y a moins de gens dans les rues, et pour les sans-abris, cela veut dire moins de personne qui donnent de l’argent. Il y a plusieurs associations qui organisent des distributions de nourriture dans divers endroits de la ville, mais surtout le soir. Alors nous assurons des livraisons dans la journée, sans que les sans-abris aient à se déplacer », explique Johanna.
Lancé le 2 novembre, Delive’rue avait déjà distribué plus de 580 paniers repas en deux semaines. « En moyenne nous livrons 40 à 80 repas par jour, parfois jusqu’à 100, notamment le week-end quand les « cuistots » et les cuissots » sont plus disponibles.
Les membres de cette communauté singulière, qui ne se sont jamais vus, communiquent via Facebook, où ils peuvent télécharger les formulaires qu’ils soient cuisiniers ou livreurs. Les six administrateurs s’occupent de mettre en lien « cuistots » et cuissots ».
L’initiative commence à être connue, notamment grâce aux médias, et 2000 personnes sont maintenant membres de la communauté Facebook. « On a même quelques sans-abris qui nous contactent directement. J’ai livré des repas à un couple qui vit dans un quartier un peu excentré et avait besoin d’aide », raconte Côme.
Côme, qui travaille dans une école d’aviation près de l’aéroport de Montpellier, parcours jusqu’à 100 km chaque week-end sur son vélo pour distribuer des repas. Il est en contact direct avec les sans-abris. « Certains me connaissent par mon prénom et je connais aussi le leur. On respecte leur anonymat, notamment sur les réseaux sociaux mais je prends le temps, quand ils sont d’accord, de prendre une photo pour envoyer au « cuistot » qui a préparé le repas ».
Le lien se fait plutôt facilement. « Il suffit d’être respectueux, dire bonjour, demander des nouvelles et demander « est-ce qu’un plat chaud vous ferait plaisir ». C’est simple », raconte Côme. Il prépare d’ailleurs une vidéo pour guider les futurs « cuissots » qui veulent rejoindre l’équipe.
Une piqure de bonheur quotidien
« On veut garder un système simple, souple et non contraignant. Le but c’est avant tout de créer du lien social, de permettre à chacun de participer comme il peut et quand il peut. Il y a peu de contrainte sauf l’hygiène bien sûr et toutes les recommandations liées à la pandémie », poursuit Johanna.
« C’est une piqure de bonheur quotidien. Cette solidarité en ces temps compliqués fait du bien à tout le monde, ceux qui donnent et ceux qui reçoivent », raconte Lila. Déjà engagée dans plusieurs associations, elle prépare pour Noël une opération « Boîtes à chaussures » avec des cadeaux pour les plus démunis. Un bonnet, une écharpe, des gants, des produits d’hygiène, un livre, des mots croisés et un stylo, un petit mot, une douceur au chocolat, une friandise : les « boîtes de Noël », connaissent partout en France de plus en plus de succès.
Pour Johanna et ses amis, il est temps, alors que le confinement s’assouplit, d’imaginer le futur de leur communauté, d’autres formes d’actions peut-être, pour que cet élan de solidarité continue après la pandémie.
« Dans un premier temps, quand ce sera possible et dans les règles sanitaires, ce serait formidable qu’on se retrouve, que la communauté se rassemble, que les gens fassent connaissance », explique Johanna. « On a mille idées pour poursuivre nos actions après le confinement. Nous avons tous envie, même si les gens seront moins disponibles après le confinement, de continuer l’aventure ensemble », ajoute Côme.
Pour répondre à toutes les demandes des personnes qui voudraient suivre l’exemple, Deliv’rue conseille d’abord de rejoindre les groupes « Pour Eux » qui sont déjà bien structurés, mais a aussi développé une charte et des fiches pratiques notamment sur comment aborder les personnes en rue, protéger leur anonymat, respecter les consignes d’hygiène etc. « Nous n’avons pas par exemple vocation à sortir les gens de leur situation ou à les prendre en charge, mais quand il y a un besoin urgent, notamment de santé, nos « cuissots » peuvent orienter vers les services adéquats ».
En France, 22 millions de personnes sont investies dans le bénévolat, dont un tiers très activement selon une enquête menée par l’université de Nantes. Les initiatives de solidarité et l’engagement individuel auprès des associations sont en hausse. Avec la crise économique qu’a engendré la pandémie de COVID-19, de plus en plus de personnes ont besoin d’assistance. Les Restos du Cœur, fondé par Coluche il y a 36 ans, ont récemment estimé que près d’un million de personne en France pourraient avoir recours à leur service d’assistance alimentaire cette année.