Le nouveau Secrétaire général de l’Organisation maritime internationale (OMI), Arsenio Dominguez, originaire du Panama, n’était en fonctions que depuis trois jours lorsque le 3 janvier 2024, il a informé le Conseil de sécurité de l’ONU de la crise en mer Rouge. Les attaques menées par les rebelles houthis contre le transport maritime international au large des côtes du Yémen perturbent en effet le commerce mondial depuis novembre 2023.
Le trafic de marchandises par bateau, central pour l’économie globale, représente plus de 80 % du commerce mondial. L’OMI, dont le siège se trouve à Londres, est chargée de réglementer ce secteur. Après une série de crises mondiales, dont la pandémie de Covid-19, la guerre en Ukraine et les attaques de la mer Rouge, le rôle vital du commerce maritime – et donc de l’OMI – est apparu au grand jour.
Perturbations en mer Rouge
Lors des premières attaques des rebelles Houthis du Yémen contre des navires marchands, Arsenio Dominguez, qui entame un premier mandat de quatre ans, confie dans un entretien avec UNRIC avoir été « inquiet, en particulier de l’effet négatif de ces attaques sur les marins, des victimes innocentes, et sur la liberté de navigation ». De telles attaques ne peuvent être justifiées. Aussi a-t-il demandé la libération immédiate du Galaxy Leader, un cargo lié à un homme d’affaires israélien et saisi en novembre au Yémen avec son équipage de 25 marins.
« Mon troisième appel porte sur la désescalade et le maintien des négociations en ayant recours aux Nations Unies d’abord, bien sûr, au Conseil de sécurité, et en s’appuyant sur le rôle de l’OMI dans le soutien au transport maritime ».
En janvier 2024, le Conseil de sécurité a adopté une résolution exigeant que les Houthis cessent immédiatement toute attaque contre les navires marchands et commerciaux. L’OMI s’est entretenue en permanence avec les parties prenantes et tous ses États membres pour apporter son soutien aux pays riverains de la mer Rouge.
Un lien vital grâce au canal de Suez
Reliant la Méditerranée à la mer Rouge, le canal de Suez offre une route plus directe pour le transport maritime entre l’Europe et l’Asie que via le cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud. Du gaz naturel, du pétrole, des voitures, des matières premières et de nombreux produits manufacturés et composants industriels transitent par le canal de Suez, l’un des lieux les plus stratégiques de la planète, avec 22 % du fret maritime mondial.
Compte tenu du risque d’attaque en mer Rouge, de nombreux navires évitent désormais cette voie d’eau, et le volume des échanges passant par le canal de Suez a chuté de 82 % entre novembre 2023 et la première quinzaine de février 2024, selon les estimations de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).
Les navires optent plutôt pour une route prolongée autour de la pointe la plus méridionale de l’Afrique, ce qui prend en moyenne dix jours de plus et fait grimper les coûts, sans parler de l’impact sur les efforts de décarbonisation de l’industrie du transport maritime.
« Les navires sont désormais contraints d’augmenter leurs émissions en empruntant une route plus longue», explique Arsenio Dominguez.
Les consommateurs devront faire face à une augmentation des prix, en raison de la hausse de l’assurance du fret et des coûts d’exploitation des navires.
« Les économies sont encore en train de se reconstruire après la pandémie de Covid-19. C’est une situation indésirable parce qu’elle aura un impact croissant au fil du temps », ajoute Arsenio Dominguez.
Pleins feux sur le transport maritime en temps de crise
La perturbation de la mer Rouge s’ajoute à la réduction des traversées de navires dans le canal de Panama en raison de niveaux d’eau anormalement bas liés aux effets du changement climatique. La guerre en Ukraine continue elle aussi d’affecter le transport maritime.
Ces crises renforcent l’attention portée au rôle du transport maritime au service de l’économie mondiale. En mars 2021, par exemple, l’échouage du vaste porte-conteneurs Ever Given, qui a bloqué le canal de Suez pendant plusieurs jours, a bouleversé les chaînes d’approvisionnement mondiales et perturbé les flux commerciaux.
« Le transport maritime ne se limite pas aux accidents », souligne le chef de l’OMI. Il estime que l’industrie maritime est « sous-estimée » et que son nouveau rôle en tant que secrétaire général est de renforcer sa visibilité et son importance. « Nous devons nous exprimer plus ouvertement ».
Il a défini quatre priorités stratégiques : la réglementation du transport maritime international ; son soutien aux États membres – en particulier les petits États insulaires en développement (PEID) et les pays les moins avancés (PMA) ; l’amélioration de la sensibilisation du public et de l’image ; et les relations avec les personnes et les parties prenantes.
« La vision est celle d’une organisation plus tournée vers l’avenir, plus transparente et plus diversifiée dans tous les sens du terme ».
Un vaste programme environnemental
L’un des principaux domaines de travail de l’OMI sera de rendre l’industrie du transport maritime plus durable. Le secteur exploite une flotte vieillissante : plus de la moitié des navires dans le monde ont aujourd’hui plus de 15 ans et fonctionnent presque exclusivement aux combustibles fossiles, ce qui représente 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
En juillet 2023, les États membres de l’OMI ont adopté une stratégie de lutte contre les émissions nocives, dont l’ambition est de décarboniser le secteur du transport maritime d’ici à 2050 environ. Le travail à accomplir pour réaliser cette transition est immense.
« Nous devons également compter sur d’autres secteurs pour soutenir notre transition, comme le secteur de l’énergie, car nous aurons besoin de nouveaux carburants alternatifs – des carburants à faible teneur ou à teneur nulle en carbone – qui nous permettront de décarboniser en conséquence », explique Arsenio Dominguez, qui était auparavant directeur de la division de l’environnement marin de l’OMI.
L’un des objectifs fixés est que la flotte mondiale utilise au moins 5 % de carburants alternatifs d’ici à 2030.
« Cela semble peu, mais il faut tenir compte du fait qu’à l’heure actuelle, nous en sommes à moins de 0,5 %, car les carburants ne sont pas disponibles dans les quantités attendues. Nous avons encore un défi à relever ». La sécurité des carburants alternatifs doit être testée et une réglementation mise en place. Par ailleurs, la main-d’œuvre doit être formée à la manipulation des nouveaux carburants.
Dans d’autres domaines, l’OMI a adopté une stratégie pour lutter contre les déchets plastiques marins provenant des navires, et a introduit des zones protégées en mer qui sont vulnérables aux dommages causés par les activités maritimes internationales, ainsi que des systèmes de surveillance du trafic pour éviter les collisions avec les mammifères dans les océans.