De la résurgence de microbes anciens à la fin des assurances immobilières, en passant par les techniques de modification du rayonnement solaire et l’éco-anxiété des jeunes… Un nouveau rapport publié le 15 juillet 2024 par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et le Conseil international de la science (CIS) anticipe sur les « défis émergents » face au climat.
Dans une démarche prospective de moyen et long terme, l’étude identifie huit grands changements qui accélèrent la triple crise actuelle (changement climatique, perte en nature et biodiversité, pollution et déchets).
Toute l’originalité du rapport consiste à pointer, à l’intérieur des 8 changements, 18 « signaux de changement ». Ces tendances lourdes qui représentent des risques sérieux et plus rarement des promesses de progrès ont été identifiées par des centaines d’experts à travers le monde, via des consultations.
Ce rapport important, intitulé « Naviguer vers de nouveaux horizons – Prospectives mondiales sur la santé planétaire et le bien-être humain », s’attaque à la complexité d’une « polycrise » dont les rouages sont entremêlés. Il servira en septembre aux discussions du Sommet de l’avenir des Nations Unies.
1 – Changement climatique « irréversible » et risques pour la santé
Selon le rapport, « le monde se rapproche de plus en plus d’un changement environnemental qui pourrait être irréversible ».
Un vaste système de courants océaniques, dénommé Circulation méridienne de retournement de l’Atlantique – dont le Gulf Stream fait partie – représente un élément clé de régulation du climat. Or, son effondrement pourrait se produire dès 2057, selon des études.
« À cette vitesse, et compte tenu de l’ampleur des répercussions qui s’ensuivraient, il serait pratiquement impossible de s’adapter » au changement climatique.
Quatre « signaux de changements » sonnent en outre comme autant d’alertes. La fonte du pergélisol arctique (« permafrost » en anglais) risque de libérer des microbes anciens et de générer de épidémies. Ce phénomène a déjà provoqué en 2016 une épidémie d’anthrax en Sibérie, tuant hommes et animaux.
De nouvelles zoonoses, des maladies infectieuses transmises de l’animal à l’homme comme le SRAS, Ebola ou le Covid-19, sont aussi possibles. La résistance des virus augmente face aux antibiotiques, ce qui rendra des maladies banales plus difficiles à soigner.
Enfin, le risque d’impacts imprévus de produits chimiques et matériaux nocifs est réel, dans la mesure ou à peine 5 % des produits chimiques connus font l’objet de mesures dans l’environnement.
2 – Rareté des ressources minières nécessaires à la transition
Grand paradoxe de l’adaptation au changement climatique : la demande de minéraux et métaux rares, essentiels pour alimenter la transition vers une consommation nette nulle, devrait être multipliée par quatre d’ici à 2040. L’extraction de lithium, de cuivre, de cobalt, de nickel et de terres rares, entre autres, risque non seulement d’aggraver la pollution et les déchets, mais aussi de déclencher de nouveaux conflits.
Autre risque signalé : l’expansion rapide de l’activité spatiale et des débris spatiaux orbitaux, qui peut endommager la couche d’ozone et nuire à la stabilité géopolitique.
3 – Intelligence artificielle, transformation numérique et technologie
L’intelligence artificielle (IA) et la transformation numérique peuvent certes apporter des solutions. Elles n’en auront pas moins des répercussions sur l’environnement. Elles vont impliquer une demande accrue de minéraux et d’éléments issus de terres rares, ainsi que des ressources en eau pour répondre à la demande des centres de données.
L’utilisation de l’IA dans les systèmes d’armement et les applications militaires, ainsi que le développement de la biologie synthétique, doivent être examinés sous l’angle de l’environnement.
Un signal de changement positif porte sur « l’émergence d’un état d’esprit d’apprentissage continu et « d’exnovation » » – un terme qui renvoie à l’habitude, qui serait mieux acceptée, de changer radicalement de modèles de consommation et de production. Ce qui pousserait à un « nouveau paradigme dans lequel le statu quo ne serait plus accepté et où les transitions durables prévaudraient ».
Second point : le possible « déploiement de la modification du rayonnement solaire ». Cette géo-ingénierie vise à renvoyer dans l’espace les reflets du soleil, pour limiter la hausse des températures.
Elle aurait un impact immédiat sur le changement climatique, mais comporte de nombreux risques (effets indésirés dans les régions polaires et les tropiques, risque de réchauffement accru en cas de cessation, risque de voir les efforts d’atténuation compromis, etc). « Choisir d’ignorer ces technologies maintenant pourrait aussi comporter des risques, en laissant la société et les décideurs mal préparés et malavisés », note le rapport.
4 – Une nouvelle ère de conflits
Les conflits armés et la violence augmentent et évoluent. « Entre 2021 et 2023, une hausse spectaculaire du nombre des victimes a été causée par quatre conflits : la guerre civile en Ethiopie et au Soudan, l’invasion russe de l’Ukraine et le conflit à Gaza ». Pas moins de 59 conflits étatiques entre 34 pays ont été enregistrés sur cette période, soit « le plus haut niveau depuis 1946 ».
Ces conflits dégradent et polluent les écosystèmes, aggravant la vulnérabilité des populations affectées. Les « signaux de changements », ici, portent sur une mutation dans la façon de faire la guerre. L’apparition de systèmes d’armes autonomes et à intelligence artificielle est redoutée, ainsi que « l’utilisation abusive d’agents biologiques ».
5 – Déplacements forcés massifs
Une personne sur 69 est aujourd’hui déplacée de force, près de deux fois plus qu’il y a dix ans. Avec 120 millions de personnes déplacées en avril 2024, en raison des conflits ou du changement climatique, 1,5 % de la population mondiale est touchée.
Les risques associés à ce phénomène portent sur l’apparition d’espaces rendus inhabitables par le changement climatique, avec des déplacements de population qui deviendraient la norme.
6 – Les inégalités se creusent
« Les 10 % les plus riches concentrent plus des trois quarts de la richesse globale, tandis que les 50 % les plus pauvres n’ont que 2 % ou presque rien ». Conséquence écologique : « les 1 % les plus riches et les 66 % les plus pauvres génèrent le même niveau d’émissions », 16 % des émissions totales.
Deux tendances possibles sont associées à ces inégalités. Le « micro-environnementalisme privatisé » tiendrait à la « création d’habitats à accès privé, parfois artificiels, offrant les services d’un écosystème stable » à des particuliers qui seraient « des membres payants », et la fin des assurances telles qu’on les connaît sur des biens situés dans des zones trop exposées.
En clair, les assurances ne voudraient plus couvrir les zones devenues trop risquées. Ce qui « contraindrait les gouvernements à intervenir pour empêcher l’effondrement du marché immobilier ».
7 – Désinformation, déclin de la confiance et polarisation
Le rapport relève la prolifération de la désinformation et des « fake news ». Un phénomène flagrant dans la récente crise du Covid-19, mais aussi la diffusion de thèses climato-sceptiques, avec des répercussions politiques se traduisant par une montée du populisme.
L’un des risques associés porte sur « la prise de décision de plus en plus détachée des preuves scientifiques, (…) sous l’effet de rhétoriques populistes et de pressions communautaires ».
Autre danger : « l’éco-anxiété, une crise émergente, cachée mais évidente ». Cette crise aurait des conséquences sur la santé mentale des enfants et des jeunes, affectant le bien-être général.
Des subventions croissantes au secteur pétrolier représentent un autre risque, en empêchant les investissements de se faire dans les énergies propres, avec un recul dans les efforts de transition énergétique.
Enfin, des risques accrus de corruption dans la compensation des émissions de carbone se font jour. Ce scénario verrait « proliférer les projets frauduleux de séquestration du carbone, sapant les efforts d’atténuation ». La confiance dans les marchés de compensation du carbone s’effondrerait.
8 – Gouvernance climatique
La gouvernance est en mutation, marquée par une confiance en berne dans les institutions publiques et l’influence croissante d’acteurs non étatiques : ONG, multinationales, « super-riches », sociétés de mercenaires et crime organisé.
Après le sommet de Copenhague en 2009 (COP 15), les limites des processus inter-gouvernementaux sont apparues clairement, de même que le besoin d’une approche plus décentralisée de la gouvernance climatique. Aujourd’hui, le cadre réglementaire des traités internationaux est complété par des actions menées par des réseaux transnationaux de villes, de sociétés et de groupes de la société civile.
Les tendances liées à la gouvernance portent sur de « nouveaux outils pour réorienter les flux financiers mondiaux » : les exigences des gouvernements sur l’impact environnemental des opérateurs économiques et les pénalités imposées ont un effet concret sur le cours des actions en bourse et les investissements.
La résilience locale en réseau verrait des communautés « frustrées par les échecs des gouvernements » devenir « la première force motrice » des actions destinées à augmenter la résilience face au climat.
Quelles solutions ?
« Le rythme rapide du changement, de l’incertitude et des évolutions technologiques auquel nous assistons, sur fond de turbulences géopolitiques, signifie que tout pays peut être déstabilisé plus facilement et plus souvent », selon Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE.
Des pistes sont cependant esquissées vers des solutions. Le rapport recommande ainsi d’adopter un nouveau contrat social qui engage un éventail diversifié de parties prenantes, y compris les populations autochtones, et permette aux jeunes de participer plus activement et de repenser les mesures de progrès.
Les gouvernements et les sociétés peuvent également introduire des objectifs et des indicateurs à plus court terme afin d’être plus « agiles » et adaptables en matière de gouvernance face au climat.
Enfin, le travail sur la connaissance des enjeux, le suivi et les données permettrait de « guider la gouvernance » de manière éclairée, espère le rapport.
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